jeudi 22 mars 2007

En 2oo7, en france, la condition carcerale date d’une époque moyennageuse.

D'autre part, quelle que soit la condamnation, un détenu sort, de toute façon un jour.
La privation de liberté est une lourde punition : rajoutez à cela tout ce que la prison draine comme choses sordides et indigne du soit disant pays des droits de l'homme, et la société «récupère» ensuite ce qu'elle a engendré : la haine, la violence,

l’impossible
réinsertion.


Vous n'êtes pas à l'abris de connaître un jour l`incarcération.
Pensez-y!

/
Nathalie

Sylvie, comme un ange venant de se faire abattre en plein ciel par une D.C.A venue des profondeurs du malheur, j’ai appris que tu étais retombée. Je suis triste pour toi qui as déjà traversé cette putain « d’allée des barbelés » durant déjà neuf années, je suis triste pour ta fille qui souffre déjà de ton absence, je suis triste pour ta famille frappée de stupeur, je suis triste pour tes amies touchées en plein cœur, je suis triste pour toi et aussi pour cette petite bonne sœur …

Tu n’as pas sommeil,
tu fumes et tu veilles,
t’es tout écorché,
T’es comme un chat triste
perdu sur la liste
des objets trouvés,
La nuit carcérale
tombant sur les dalles
et ce lit glacé,
Aller et venir
soleil et sourires
sont de l’autre côté.


Depuis que j’ai appris cette fâcheuse nouvelle, je ne cesse de penser à toi et à cette chanson de Lavilliers qui vient résonner à ma mémoire comme pour colorer d’une mélodie le désespoir. Le fait divers dont ils t’accusent et dont je ne sais rien n’enlèvera jamais mon estime pour toi car quoi qu’ils disent, moi je sais que tu as un cœur immense avec encore une part d’innocence. Peut-être même que ton seul tord est d’avoir eu ce coeur un peu trop grand pour tout ces gens remplis d’indifférences…

Ces murs, ces grillages,
ces portes et ces cages,
ces couloirs, ces clés,
Cette solitude
si dure et si rude
qu’on peut la toucher,
Ce rayon de lune
sur le sol allume,
visage oublié,
De celui que t’aime,
qui tire sur sa chaîne
comme un loup blessé.


Comme ce retour à la misère carcérale a du être terrible pour toi qui étais libre depuis 5 ans. L’arrestation, les flics, la garde à vue, les juges, le dépôt, l’arrivée à la prison, les matonnes, le greffe, les empreintes, la photo, le numéro d’écrou, la fouille à poil, la bouffe déguelasse, la première douche presque froide, le paquetage misérable, l’arrivé dans une cellule de deux ou de trois, et puis quand les lumières s’éteignent ce silence qui transperce l’âme comme un coup d’épée dans la poitrine, comme une violente douleur sans dose de morphines...

Betty faut pas craquer,
Betty faut pas plonger,
Je sais, ils t’ont couché là
et puis ils ont fermé
leurs barreaux d’aciers,
Betty faut pas pleurer,
Betty faut pas trembler,
Je sais tu vas rester là,
t’aimerais plus te réveiller
plus jamais rêver.


Beaucoup de ceux qui lisent ces lignes ne savent pas ce que tu ressens en ce moment, il n’y a que moi qui peux le comprendre parce que je l’ai déjà vécu comme un destin perdu. C’est pourquoi ce soir j’écris ces mots histoire de ne pas te laisser seule avec cet irrésistible envie d’en finir qui, fatalement, va venir te hanter comme une tourmente incessante. Je le sais tu ne voulais plus y retourner, tu ne voulais plus vivre ce cauchemar, cette longue traversée du tunnel noir, te sentir vieillir face au miroir…

Je te dis je t’aime
en ce court poème,
en ce long baiser,
Tu es ma frangine
juste une féminine
que j’avais rimé,
Je te donne ma force,
mes mots et mes notes
pour te réchauffer,
Je hais la morale,
les prisons centrales,
les maisons d’arrêts.


Pas facile de trouver les mots justes quand ceux que l’on aime partent pour un si long voyage au bout de la nuit, au bout de l’infini. Ce que je peux te dire c’est que quoiqu’il arrive je serai toujours là comme un ami. Oui ça va être une terrible épreuve pour toi mais je te demande de tenir parce que même si tu ne le vois pas, là bas, tout au bout, il y a ton avenir et il est loin de tous ces miradors qui tirent. Sur cette chanson qui s’étire je vais te laisser t’endormir pour ne pas te laisser ressentir et souffrir de ce temps qui t’emprisonne comme un dernier soupire.

Je n’ai pas sommeil,
je fume et je veille
et j’ai composé,
Une chanson d’amour,
une chanson secours
pour l’autre côté
Pour ceux que l’on jette
dans les oubliettes,
dans l’obscurité,
Pendant que les gens dorment
au fond du conforme
sans se réveiller.


Sylvie, un ange est tombé ce soir parce qu‘il était un peu noir à cause d’une vie un peu trop rempli de coups de cafards et de tristes déboires. Mais il te faut garder espoir et ne pas sombrer dans l’entonnoir du désespoir. Saches le personne n’a annoncé la fin de ton histoire et personne n’a décrété qu’il fallait te laisser toute seule dans le noir. Penses plutôt à ceux qui t’aiment et qui connaissent ton cœur et ta gentillesse, car pour en avoir parlé avec eux, il n’est pas question qu’ils te laissent, même si tu es pour quelque temps dans ces forteresses de détresses.
Voilà c’est sur ces mots et cette chanson que je te laisse avec une douce tendresse, même si je sais que ces heures, ces jours, ces mois, ces années toujours te blessent…

Sylvie faut pas craquer,
Sylvie faut pas plonger,
Je sais, ils t’ont couché là
et puis ils ont fermé
leurs barreaux d’aciers,
Sylvie faut pas pleurer,
Sylvie faut pas trembler,
Tu sais, on se retrouvera là,
ailleurs, en plein soleil…


/
Laurent

J’attendais dans une petite salle d’attente, encadré de deux gendarmes. La sonnette retentit. Les gendarmes se levèrent et m’escortèrent jusqu’au box des accusés de la cour d’assises. La salle était pleine. Les juges et avocats de la partie civile m’observèrent.
Le président demanda à ce que l’on m’enlève les menottes et m’invita à m’asseoir. Mon avocat, situé juste devant le box, me tint un discours rassurant, sentant mon anxiété.
J’aperçus ma mère dans la partie réservée au public, ainsi que quelques têtes familières.
J’étais mal à l’aise, j’avais la gorge nouée par l’émotion. Cela fut encore plus pénible lorsque la victime paralysée fit son apparition. Il se plaça près de son avocat.
Des regards s’échangèrent. Les choses s’enchaînèrent rapidement : lecture de l’acte d’accusation, exposé des faits, choix des jurés, questionnaire d’identité, enquêteurs, experts psy, enquête de personnalité, curriculum vitae, etc.

On retraça ma vie,
sans ménagement,
brutalement,
sans pudeur.


C’était une véritable caricature que l’on fit de ma personnalité. On évoqua rapidement mon enfance difficile, la violence conjugale de mes parents.
J’avais le cœur serré devant ce déballage de ma vie jetée en pâture à un public silencieux. Tout cela me semblait irréel. Comme la scène des assises dans L’Étranger de Camus. Je ressentais la même chose, la même absence.
Le président me posa quelques questions auxquelles je répondis difficilement, l’émotion était très forte...
Cette première journée avait été éprouvante, car j’avais été assez déstabilisé malgré de longs moments d’absence où j’avais l’impression de ne pas participer au débat.
Il faut dire qu’à vingt et un ans, on n’est pas aguerri pour ce genre d’épreuves!
Les jurés m’observaient, à l’écoute de l’image qu’on leur donnait de moi. J’avais le plus souvent la tête baissée, n’osant affronter les regards.
La séance était levée. Ce serait tout pour aujourd’hui.
Mon avocat me dit que le lendemain, le fond de l’affaire serait mieux évoqué, grâce aux plaidoiries.
En effet, le lendemain, on exposa les faits en long et en large. Il y eut audition des témoins. Les skinheads ne ressemblaient plus aux brutes du soir des faits.
Leurs cheveux avaient providentiellement poussé et leurs vêtements étaient tout à fait corrects.

Ils relatèrent les faits, bien évidemment
à leur façon,


en me chargeant le plus possible. Après tout, c’était moi qui étais dans le box des accusés !
En bref, j’étais d’après eux un tireur fou faisant un carton pour le plaisir.
Lisa fut appelée à la barre. C’était le seul témoin des faits allant dans mon sens. Mais cinq témoignages contre un seul en ma faveur, cela faisait léger…
Puis ce fut le tour des victimes. Le père de la victime décédée, un PDG, témoigna sur la personnalité de son fils. À la question posée par mon avocat sur son appartenance à la bande des skinheads, il répondit évasivement, visiblement gêné par cet aspect des choses.
Puis ce fut le tour du chef de bande paralysé. Assis sur sa chaise roulante, il avança à la barre, poussé par son avocat. Effet garanti et prémédité de leur part. Un infirme impressionne toujours. Un silence de plomb régnait dans la salle.
J’ai su plus tard qu’il se déplaçait le plus souvent avec des béquilles.
Il déposa, il relata les faits sans véritable acharnement. Puis ce fut mon tour. Je répondis de mon mieux aux questions posées par le président. Je maintins la seule et véritable version, à savoir mon agression par la bande de skinheads. Malgré mes explications, le doute s’installait dans l’esprit des jurés, je le sentais. Peut-être était-ce dû à ma façon de m’exprimer, pas assez convaincante. Mon seul espoir reposait sur la plaidoirie de mon avocat, dévoilant les photos du magazine, celles-ci appuyant ma thèse.
Car depuis le début des débats, jamais le côté militant fasciste de la bande n’était ressorti.
On avait l’impression qu’il s’agissait d’une bande de jeunes aux crânes rasés, rien de bien méchant. Cette facette de l’affaire semblait être occultée, à l’image de l’embarras du père de la victime.
De mon côté, je décidai de taire mon état de santé, afin d’épargner ma famille. De toute façon, le président en était informé. C’était inscrit au dossier, mais personne n’en fit état.
Ce fut l’instant des plaidoiries. Tout d’abord les parties civiles pour lesquelles j’étais un tueur froid. Elles demandèrent une peine exemplaire. Le procureur fut bref. Il évita dans son réquisitoire d’évoquer la personnalité des skinheads. Il demanda quinze ans de réclusion. Mes jambes faillirent se dérober sous moi à l’écoute de la peine requise.
Ce fut enfin le tour de mon avocat. Il plaida longuement avec, je dois dire, un certain talent et une grande conviction. Mais il axa essentiellement sa plaidoirie sur mon enfance difficile. Il visait les circonstances atténuantes. Il évoqua, tout de même, le phénomène skinhead, montrant les photos aux jurés. Mais il n’insista pas vraiment et se contenta de réciter ma version des faits.
J’eus la parole en dernier, comme le veut la tradition aux assises. Je dis mon regret quant aux conséquences de mes actes, mais insistais sur le fait que j’avais été agressé. Je n’ajoutais rien d’autre. La séance était levée.
Je rejoignis en compagnie des deux gendarmes la salle d’attente attenante à la cour d’assises, afin d’y attendre le retour des jurés après leur délibération. Pour la énième fois, la sonnette retentit. J’allais connaître le verdict.
Les jurés s’installèrent autour du président et de ses assesseurs. La décision avait été prise assez rapidement.

Le président annonça
la sentence : dix ans
de réclusion criminelle…
Pour moi, ce fut une
peine de mort.


Une condamnation sans appel, compte tenu de mon état de santé.
Encore une fois, le monde s’écroulait. Je me voyais agonisant dans une cellule, loin des miens.
Deux, trois mois après ma condamnation, TF1 diffusait un reportage, «52 sur la une», entièrement consacré à la mouvance skinhead. On y évoquait leur extrême violence et leur idéologie. Mon fameux chef de bande paralysé était là, prônant leur haine, leur racisme, et développant des thèmes néo-nazis. On y découvrait aussi qu’il faisait partie d’un groupe de musique nommé Zyklon B. Tout un symbole ! Pourquoi cette émission n’avait-elle pas été diffusée avant mon procès ?
Ma peine en aurait été réduite de moitié.
Au lieu de me laisser couler par toutes ces épreuves, je décidai de les surmonter. Je me mis à faire du sport : course à pied, musculation, assouplissements. Il me fallait être fort physiquement et moralement pour résister aux années à venir.
Je décidai d’écrire de nouveaux textes dénonçant la banalisation des idées fascistes. Textes parus dans divers quotidiens et revues. Textes lus lors de diverses émissions de radio.
Ce fut le début de ma colère et les raisons d’une révolte qui aujourd’hui n’a jamais cessé.
Lisa, quant à elle, ne venait plus me voir au parloir. La séparation s’était faite progressivement, elle avait décidé de vivre autre chose…
En détention, j’étais de toutes les luttes, de tous les mouvements. Je multipliais les bagarres. Je n’étais plus le même et je sombrais dans une violence enragée.

/
Laurent Jacqua.