jeudi 22 mars 2007


J’attendais dans une petite salle d’attente, encadré de deux gendarmes. La sonnette retentit. Les gendarmes se levèrent et m’escortèrent jusqu’au box des accusés de la cour d’assises. La salle était pleine. Les juges et avocats de la partie civile m’observèrent.
Le président demanda à ce que l’on m’enlève les menottes et m’invita à m’asseoir. Mon avocat, situé juste devant le box, me tint un discours rassurant, sentant mon anxiété.
J’aperçus ma mère dans la partie réservée au public, ainsi que quelques têtes familières.
J’étais mal à l’aise, j’avais la gorge nouée par l’émotion. Cela fut encore plus pénible lorsque la victime paralysée fit son apparition. Il se plaça près de son avocat.
Des regards s’échangèrent. Les choses s’enchaînèrent rapidement : lecture de l’acte d’accusation, exposé des faits, choix des jurés, questionnaire d’identité, enquêteurs, experts psy, enquête de personnalité, curriculum vitae, etc.

On retraça ma vie,
sans ménagement,
brutalement,
sans pudeur.


C’était une véritable caricature que l’on fit de ma personnalité. On évoqua rapidement mon enfance difficile, la violence conjugale de mes parents.
J’avais le cœur serré devant ce déballage de ma vie jetée en pâture à un public silencieux. Tout cela me semblait irréel. Comme la scène des assises dans L’Étranger de Camus. Je ressentais la même chose, la même absence.
Le président me posa quelques questions auxquelles je répondis difficilement, l’émotion était très forte...
Cette première journée avait été éprouvante, car j’avais été assez déstabilisé malgré de longs moments d’absence où j’avais l’impression de ne pas participer au débat.
Il faut dire qu’à vingt et un ans, on n’est pas aguerri pour ce genre d’épreuves!
Les jurés m’observaient, à l’écoute de l’image qu’on leur donnait de moi. J’avais le plus souvent la tête baissée, n’osant affronter les regards.
La séance était levée. Ce serait tout pour aujourd’hui.
Mon avocat me dit que le lendemain, le fond de l’affaire serait mieux évoqué, grâce aux plaidoiries.
En effet, le lendemain, on exposa les faits en long et en large. Il y eut audition des témoins. Les skinheads ne ressemblaient plus aux brutes du soir des faits.
Leurs cheveux avaient providentiellement poussé et leurs vêtements étaient tout à fait corrects.

Ils relatèrent les faits, bien évidemment
à leur façon,


en me chargeant le plus possible. Après tout, c’était moi qui étais dans le box des accusés !
En bref, j’étais d’après eux un tireur fou faisant un carton pour le plaisir.
Lisa fut appelée à la barre. C’était le seul témoin des faits allant dans mon sens. Mais cinq témoignages contre un seul en ma faveur, cela faisait léger…
Puis ce fut le tour des victimes. Le père de la victime décédée, un PDG, témoigna sur la personnalité de son fils. À la question posée par mon avocat sur son appartenance à la bande des skinheads, il répondit évasivement, visiblement gêné par cet aspect des choses.
Puis ce fut le tour du chef de bande paralysé. Assis sur sa chaise roulante, il avança à la barre, poussé par son avocat. Effet garanti et prémédité de leur part. Un infirme impressionne toujours. Un silence de plomb régnait dans la salle.
J’ai su plus tard qu’il se déplaçait le plus souvent avec des béquilles.
Il déposa, il relata les faits sans véritable acharnement. Puis ce fut mon tour. Je répondis de mon mieux aux questions posées par le président. Je maintins la seule et véritable version, à savoir mon agression par la bande de skinheads. Malgré mes explications, le doute s’installait dans l’esprit des jurés, je le sentais. Peut-être était-ce dû à ma façon de m’exprimer, pas assez convaincante. Mon seul espoir reposait sur la plaidoirie de mon avocat, dévoilant les photos du magazine, celles-ci appuyant ma thèse.
Car depuis le début des débats, jamais le côté militant fasciste de la bande n’était ressorti.
On avait l’impression qu’il s’agissait d’une bande de jeunes aux crânes rasés, rien de bien méchant. Cette facette de l’affaire semblait être occultée, à l’image de l’embarras du père de la victime.
De mon côté, je décidai de taire mon état de santé, afin d’épargner ma famille. De toute façon, le président en était informé. C’était inscrit au dossier, mais personne n’en fit état.
Ce fut l’instant des plaidoiries. Tout d’abord les parties civiles pour lesquelles j’étais un tueur froid. Elles demandèrent une peine exemplaire. Le procureur fut bref. Il évita dans son réquisitoire d’évoquer la personnalité des skinheads. Il demanda quinze ans de réclusion. Mes jambes faillirent se dérober sous moi à l’écoute de la peine requise.
Ce fut enfin le tour de mon avocat. Il plaida longuement avec, je dois dire, un certain talent et une grande conviction. Mais il axa essentiellement sa plaidoirie sur mon enfance difficile. Il visait les circonstances atténuantes. Il évoqua, tout de même, le phénomène skinhead, montrant les photos aux jurés. Mais il n’insista pas vraiment et se contenta de réciter ma version des faits.
J’eus la parole en dernier, comme le veut la tradition aux assises. Je dis mon regret quant aux conséquences de mes actes, mais insistais sur le fait que j’avais été agressé. Je n’ajoutais rien d’autre. La séance était levée.
Je rejoignis en compagnie des deux gendarmes la salle d’attente attenante à la cour d’assises, afin d’y attendre le retour des jurés après leur délibération. Pour la énième fois, la sonnette retentit. J’allais connaître le verdict.
Les jurés s’installèrent autour du président et de ses assesseurs. La décision avait été prise assez rapidement.

Le président annonça
la sentence : dix ans
de réclusion criminelle…
Pour moi, ce fut une
peine de mort.


Une condamnation sans appel, compte tenu de mon état de santé.
Encore une fois, le monde s’écroulait. Je me voyais agonisant dans une cellule, loin des miens.
Deux, trois mois après ma condamnation, TF1 diffusait un reportage, «52 sur la une», entièrement consacré à la mouvance skinhead. On y évoquait leur extrême violence et leur idéologie. Mon fameux chef de bande paralysé était là, prônant leur haine, leur racisme, et développant des thèmes néo-nazis. On y découvrait aussi qu’il faisait partie d’un groupe de musique nommé Zyklon B. Tout un symbole ! Pourquoi cette émission n’avait-elle pas été diffusée avant mon procès ?
Ma peine en aurait été réduite de moitié.
Au lieu de me laisser couler par toutes ces épreuves, je décidai de les surmonter. Je me mis à faire du sport : course à pied, musculation, assouplissements. Il me fallait être fort physiquement et moralement pour résister aux années à venir.
Je décidai d’écrire de nouveaux textes dénonçant la banalisation des idées fascistes. Textes parus dans divers quotidiens et revues. Textes lus lors de diverses émissions de radio.
Ce fut le début de ma colère et les raisons d’une révolte qui aujourd’hui n’a jamais cessé.
Lisa, quant à elle, ne venait plus me voir au parloir. La séparation s’était faite progressivement, elle avait décidé de vivre autre chose…
En détention, j’étais de toutes les luttes, de tous les mouvements. Je multipliais les bagarres. Je n’étais plus le même et je sombrais dans une violence enragée.

/
Laurent Jacqua.

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