jeudi 14 juin 2007


Dans la série des «interviews interdites» voici celle de Thierry, l’un des 520 détenus français condamnés à perpétuité, qui a bien voulu répondre à quelques questions concernant ses études.
Ses mots vous permettront d’en savoir un peu plus sur ce qui se passe en prison et de comprendre qu’il y a ici des gens qui se battent de différentes façons (là en l’occurrence par le savoir) pour ne pas sombrer, malgré leurs peines interminables et leurs mauvaises conditions de détention. Je crois qu’il était important et intéressant de vous éclairer sur cet aspect du monde carcéral.



Peux-tu te présenter et nous raconter dans ton parcours carcéral ce qui t’a amené à faire des études?


Je m’appelle Thierry et j’ai 37 ans.
Depuis 1990 (mes 20 ans), je n’ai eu que quelques brefs mois de liberté.
Sans trop me retourner sur le passé, je dirais simplement que j’ai traversé toutes les étapes «d’auto-destruction» que le monde carcéral puisse proposer, et elles sont nombreuses.
En ce qui me concerne, j’ai toujours envisagé les choses par étapes successives. Qu’il s’agisse de mon parcours carcéral ou de mes études qui participent à ma reconstruction.
En arrivant à Poissy en 2002, j’ai commencé une formation que proposait la Centrale : le C.A.P cuisine (j’étais encore sous camisole chimique (Nozinan) à cette période). J’ai continué l’année suivante avec le B.E.P hôtellerie et le B2i (j’ai arrêté tout traitement médical cette année là).
J’ai vite réalisé que les heures passées en cours ne sont pas des heures en cellule.
Lorsque après ces deux formations le centre scolaire m’a proposé de continuer avec le D.A.E.U. (dehors, j’ai arrêté l’école en 4ème) j’ai pris cela comme une chance qui s’offrait à moi, et d’une certaine façon, un défi vu le retard scolaire que j’avais.
Beaucoup de choses positives sont ressorties durant cette année, comme la découverte de la philosophie, mais surtout, une approche différente dans mon rapport aux études. J’avais en face de moi des profs qui avaient l’air d’aimer ce qu’ils faisaient, qui prenaient plaisir à nous faire découvrir des auteurs comme : Marivaux, Proust, Baudelaire, Corneille, Nietzsche…
Je me suis surpris à prendre du plaisir en lisant ces textes le soir ou la nuit en cellule. Mais également d’autres plaisirs comme la danse des phonèmes et l’articulation des mots, de la poésie, de l’écriture.
J’ai finalement décroché mon D.A.E.U., mais le plus important a été mon évolution mentale, psychique et physique. Je sentais en moi de choses qui ne demandaient qu’à sortir, qu’à s’exprimer, telle une rage d’apprendre, de progresser, de m’améliorer, de devenir l’unique propriétaire de moi-même et de mes projets.
A la fin de l’année, le D.A.E.U en poche, j’ai donc été voir les responsables du centre scolaire et je leur ai fait part de mon désir de continuer à étudier. (Il n’y avait rien après le D.A.E.U à Poissy) Après maintes discussions et recherches avec l’une des responsables du centre scolaire, il s’est avéré qu’une Licence de Lettres modernes était proposée à la prison de la Santé avec l’un des départements de l’ Université Paris 7 de Jussieu, le D.E.P.A.E.S qui s’occupe de la section des «Etudiants Empêchés».
Après beaucoup d’insistance de ma part, il a été décidé de faire un essai sur quelques modules de cette Licence de Lettres sur Poissy.
C’est ainsi qu’on commencé à s’articuler les choses, dans un premier temps avec l’intervention de deux professeurs (un de philo et un de linguistique).
Nous étions deux étudiants la première année.
Après beaucoup de travail, de ténacité, de persévérance, j’ai réussi et validé ma première année de licence. Aujourd’hui, la Licence de Lettres sur Poissy commence à avoir du succès, nous sommes dorénavant huit étudiants à y suivre les cours et il y a maintenant plus de profs que d’étudiants. En ce qui me concerne, je suis dans ma deuxième année, qui se déroule très bien.
L’avenir concernera la mise en place de la Maîtrise de Lettres, le moment venu.


Les conditions carcérales sont-elles gênantes pour étudier?


Non ! La démarche d’ouvrir un livre, d’apprendre, de vouloir progresser, que celle-ci se fasse dans une chambre d’étudiant, sur un campus ou dans une cellule est exactement identique, j’ai souvent face à moi des personnes qui trouvent trop de raisons, trop « d’excuses » pour ne pas faire ceci ou cela.
Il est vrai que les choses n’arrivent pas toutes cuites dans nos assiettes et qu’il faut se battre et donner le meilleur de soi chaque jour.
A chaque instant, nous sommes face à des choix, nous avons tous la liberté de dire « oui » ou « non », notre vie est uniquement guidée par les décisions que nous prenons ou que nous refusons.


Comment s’organisent les cours à Poissy?


Du lundi au jeudi, les cours commencent à 16h et se terminent à 18h. (Sauf le jeudi ou ils commencent à 14h)
Mais c’est surtout un travail personnel qui se fait en cellule.
- Lundi : Philosophie / Art & Cinéma (En alternance tous les semestres)
- Mardi : Littérature / Méthodologie
- Mercredi : Linguistique / Latin
- Jeudi : Atelier d’écriture
(Des changements peuvent avoir lieux en fonction des UV à passer)


Quelles sont tes relations avec les profs venus de l’extérieur?


Mes relations avec les profs sont très bonnes, mais je m’applique à garder un certain recul, certains tutoient les profs, moi non. Il me parait important de garder une relation Profs - élèves. Mon objectif est de décrocher ma Licence, pas de me faire de nouveaux amis ou de tomber dans la camaraderie.


Vous considèrent-ils comme des élèves à part entière?


Je l’espère, en tout cas c’est ce que j’attends d’eux.
Mais il me parait difficile de me prononcer à leur place.


Etudier est-ce un refuge, une façon d’échapper au monde carcéral?


Oui, au même titre que le sport, les médicaments, la drogue, la télévision…
Mais c’est également la meilleure façon, en ce qui me concerne, pour faire passer le temps, ce temps infini. Etudier en prison ou dehors revient au même, par les efforts à fournir, la rigueur, les horaires à respecter, l’autodiscipline.


Est-ce que faire des études rend la détention plus supportable?


Oui et non. Oui dans le sens où la charge de travail demandée me fait passer beaucoup d’heures en cellule, à lire, à faire les devoirs demandés, ce qui par la force des choses me met un peu à l’écart de l’agitation quotidienne. Je veille à ne pas me disperser à droite et à gauche inutilement, en tout cas beaucoup moins qu’avant.
Non dans le sens où avoir choisi d’étudier pour m’en sortir, n’est pas toujours bien vu de tous, quelques âmes orgueilleuses le prennent comme une provocation ; Elles restent des exceptions sans importance.
La plupart des gars me connaissent depuis des années, ils connaissent mon parcours et savent d’où je suis parti.


Apprendre c’est se libérer?


Je ne sais pas si apprendre c’est se libérer, ce que je peux dire c’est que les études m’apportent des connaissances, une réflexion plus posée, un recul sur les gens et les choses que je n’avais pas avant. Avancer dans les études me fait avancer sur moi, au travers des livres lus, des thèmes travaillés, des sujets étudiés. Je ressens une certaine sérénité, une meilleure assurance, un calme, un bien-être, ce sont des sensations nouvelles pour moi. Si j’ai décidé de me lancer dans les études, c’est surtout parce que je n’avais pas le choix de faire autre chose. Chacun doit trouver sa propre voie, celle qui lui convienne, nous n’avons qu’une vie, alors il me parait important que le chemin que nous décidons de suivre, aussi varié et divers soi-il, nous permette de nous épanouir, de trouver un équilibre, une stabilité.


Etre condamné à perpétuité n’est-ce pas un frein aux études?


Non, plutôt une motivation à ne jamais baisser les bras, à ne plus jamais m’affaisser, mais me battre jour après jour pour toujours m’élever.
Je souhaite simplement donner un « sens » à une peine qui n’en a pas.


Jusqu’où veux-tu aller?


Jusqu’à la dernière marche.


Ce niveau d’études te permet-il de comprendre les raisons qui t’ont amené en prison?


Bien évidement, cela prend du temps pour faire un travail sur soi, se remettre en question n’est jamais chose facile, mais l’introspection est parfois nécessaire si l’on souhaite avancer. Les études m’aident à aller plus loin dans mes réflexions, elles m’aident à ne plus rester à la surface des choses, de leurs apparences (du sensible), ma vision ne s’exprime plus sous un prisme binaire, au contraire, les études me proposent une palette de solutions, d’approches possibles et aussi différentes les unes que les autres. Il me parait préférable de savoir que de croire.


Penses-tu que les études mènent à la réinsertion?


Si elles n’y mènent pas, alors je ne vois pas qu’elles autres choix s’offrent aux détenu(e) s condamné(e) s à de longues peines qui souhaitent s’en sortir et se réinsérer ?


Obtient-on des remises de peines lorsque l’on passe des diplômes?


Quand on a une peine à temps, avec une date de fin de peine, certainement.
En ce qui me concerne, je n’ai jamais signé une heure de grâce ou de remise de peine.


Comptes-tu poursuivre tes études une fois libéré?


J’aimerai passer tous les cycles Universitaire ici, entre le centre scolaire et ma cellule, quand ma formation de Lettes sera plus avancée, alors peut-être que d’autres portes que celles de la prison s’ouvriront. Il existe des voies qui m’intéressent, comme poursuivre mon cursus avec une école de journalisme par exemple.
Mais il ne faut pas vouloir les fleurs avant les bourgeons, pour l’instant je dois rester concentré sur ma Licence et le programme de 2ème année.


Quel conseil donnerais-tu à ceux qui commencent leur peine?


D’avoir des projets, un homme sans projet est un homme mort.
Nous sommes tous des unités entières et indépendantes faisant partie du même ensemble. Si nous vivons dans la même société, c’est la particularité et la spécificité de chaque homme qui est intéressante contrairement au grégaire, au global.
Chaque cas est différent, chaque parcours, chaque motivation, ce qui est bon pour moi ne le sera peut-être pas pour un autre.
Je ne suis ni mieux, ni moins bien, je suis moi, Thierry.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Etudier pour se sentir plus libre, pour libérer la pensée et combler le vide du temps qui passe peut être un objectif louable, salutaire. Peut être ne pourrait-il s'agir que de soustraire un être pensant de l'abîme de la déraison, celle dans laquelle peut l'entrainer inexorablement une peine sans fin, celle dans laquelle vous pourriez être enfermé...
En cela, quel sens donner à l'étude, à la recherche de connaissances élargies si elles ne peuvent trouver à être valorisées dans la société des hommes dès que possible après leur terme...
Se trouve poser ici le principe de leur utilité sociale, celle qui conduit et permet la réinsertion sociale, votre réinsertion sociale.
Je ne suis pas de ceux qui sont favorables à l'idée d'une perpétuité réelle, ni même à celle des peines à perpétuité.
Le temps de la prison n'a pas de sens si notre société ne sait pas rendre ce temps, hors le temps, utile à la personne et l'aider à se dessiner un nouvel avenir.
Dans combien de temps pourriez-vous prétendre, en l'état actuel de votre situation personnelle, à une libération qui vous permettrait de mettre à profit ces nouvelles connaissances ?
A quoi pourraient-elles servir si elles ne pouvaient trouver à s'accomplir dans le cadre d'une libération proche ?
La connaissance n'a d'utilité qu'en ce qu'elle sert la création, l'échange entre les hommes et les progrès parfois si infimes de l'humanité ?
Il manque une véritable évaluation du travail dédié à la réinsertion accompli par un détenu, qui au delà du terme "légal" fixé pour sa libération, devrait lui permettre un retour à la vie "civile" dès que possible, le plus tôt possible...
Trop attendre, c'est assurément contribuer à gâcher les chances d'une bonne et réelle réinsertion.
Comment, dès lors, ne pas vous souhaiter de retrouver rapidement la liberté de montrer le meilleur de vous même et que ces études vous ont fait découvrir pas à pas !

Anonyme a dit…

Bonjour,

Y a-t-il un moyen de faire parvenir des livres à Thierry ?
Merci d'avance.

Marc-Jean

Anonyme a dit…

Le vrai soleil est intérieur. On y accède par l'humilité. L'Etude et la Bonté permettent d'avancer sous sa lumière. Celle-ci ouvre un monde que l'humanité contemporaine a hélas presque oublié.

S'allonger. Se détendre. Et puis se faire petit dans son coeur, plus humble qu'un enfant émerveillé. Devant quoi ? Ce néant intérieur de l'esprit au repos et qui, par sa seule présence, est. Se sentir être, comme cela, simplement, sans entrave. Alors les portes s'ouvrent, l'or intérieur s'embrase, et l'on renaît par delà ce néant apparent dont on découvre toute la divinité.

L'"extérieur" est hélas rempli de somnambules.

S'élancer, serein, dans la clarté.

Anonyme a dit…

super blog
c'est un sujet qui ma bocou ointerressé cette année
je conseil a tou les gens qui veront ce blog de se rendre aussito sur le site du GENEPI
si vous voulez agir
merci de parler d'une sujet encore trop peu abordé